ROLAND VILELLA
La sentinelle de fer. Mémoires du bagne de Nosy Lava. Madagascar.
"Le voile se déchire dans mon esprit. Offrir une mémoire à ces hommes, c'est nommer des ombres vêtues de haillons, chargées de crimes, épuisées par les tortures, la faim et la longueur effroyable de leur peine. Offrir une mémoire à ces hommes, c'est simplement les reconnaître et leur donner le droit d'être entendus. Tous autant qu'ils sont ! Tueurs ou escrocs, repentants ou non, abêtis de coups ou rusés, vicieux ou pas, mais tous brûlés au feu barbare de la torture, ce feu avilissant qui, sans les absoudre de leurs crimes, range la pitié dans leur camp. À ces hommes brisés, errants comme des animaux sournois dans le camp, il faut redonner le titre d'homme et le respect qui va avec. "
" Lorsqu'au crépuscule, dans la solitude de la baie où le voilier est ancré, je lève les yeux sur la sinistre sentinelle de fer, je ne peux m'empêcher de frissonner. Le soir se fait alors plus sombre et dans l'obscurité tendue comme un drap noir, j'entends l'âme des assassins que l'on torture gémir du malheur de vivre. Sur la plage encore chaude, une dernière lueur enflamme une pirogue abandonnée pour la nuit, son balancier lancé vers le ciel comme une supplique. La solitude se fait lourde. Un oiseau de mer attardé lance un cri d'alarme. La beauté m'étreint alors comme une peur et je devine que c'est la mort que je contemple."
"Albert Abolaza était porteur d'un message et n'a survécu que dans le but de le transmettre. En même temps qu'il assume son tragique destin, il dit les bas-fonds d'une société malgache profondément inégalitaire et corrompue où, en ce début de XXIe siècle, les hommes continuent à mourir de faim. Fresque brutale de criminels et de voleurs, tous misérables, livrés à d'impitoyables bourreaux appointés par l'État. Deux faces d'une société. Deux miroirs inversés. Une seule et même image. "